22.9.18 Les grands cols sous la neige

Samedi 22 septembre,  Sarchu – Leh

Le tenancier, dont je ne me rappelle malheureusement plus le nom, vient nous réveiller. Déjà que j’ai du mal à retenir les noms de chez nous, les patronymes ladakhis relèvent de l’impossible pour ma mémoire. Giuseppe se sent mieux et nous prenons un tchai à côté du poêle à crottes de yack. Puis un frugal déjeuner avec des toasts me requinque après la très mauvaise nuit que j’ai passée. J’avais remarqué la veille que le ciel se voilait, mais j’étais loin d’imaginer qu’il serait aussi gris ce matin. Avant de mettre les voiles, je demande au tenancier s’il pense qu’il va pleuvoir aujourd’hui, et en mauvais météorologue, il me souffle qu’il ne devrait pas tomber plus de quelques gouttes.

En finissant de préparer les bagages, j’annonce à Giuseppe que j’ai deux nouvelles importantes, une bonne et une mauvaise : la bonne, c’est qu’il ne pleut pas. La mauvaise, c’est qu’il neige. Au début, ce ne sont que quelques flocons et je rechigne à mettre la combinaison de pluie, en plus de l’équipement d’hiver qui me boudine encore plus. Mais après une quinzaine de kilomètre, la neige, mêlée de pluie, se fait nettement plus insistante et je dois me résigner à enfiler la combinaison.

Je succombe à un accès de mauvaise humeur car, sous la neige et la pluie, enfiler cet accessoire dont la fermeture éclair se prend systématiquement dans le tissu a le don de m’énerver. Puis c’est la longue ascension du col Nakeela qui culmine à un peu plus de 4900 mètres. La route est très glissante et il y a un liquide blanchâtre qui s’écoule partout, certainement des résidus de pollution qui se dissolvent après une période sans précipitations. A deux kilomètres du sommet, une courroie se prend dans la chaîne de Giuseppe.

Vu que je suis déjà arrivé au sommet et qu’il n’arrive pas, je refais le chemin inverse et le trouve prêt à repartir. Deux Indiens en voiture l’ont aidé à se dépatouiller de la lanière qui entravait sa chaîne. Jusqu’au sommet, la route était bonne, mais les trente kilomètres suivants sont dantesques. J’ai une buée d’enfer dans mon casque s’il n’est pas ouvert à au moins un tiers et je dois expirer par le nez, sinon c’est impossible de conduire. Je dois nettoyer l’intérieur de la visière toutes les trente secondes, en même temps que l’extérieur qui se couvre de neige. Evidemment, la neige avec le vent fouette mon visage et cette journée sera une réelle épreuve pour mes yeux bombardés de grésille très fin mais très irritant. Sur cette portion au goudron tellement défoncé qu’il est devenu inexistant, la boue et la neige forment et une pellicule très glissante et je manque par trois fois de me vautrer. Le deuxième col, le Bara-Lachala, est à plus de 5000 mètres mais je ne m’arrête pas au sommet, car j’ai trop hâte de redescendre un peu et faire une halte à Pang. Ma combinaison de pluie prend l’eau, j’ai un litre de flotte dans les bottes à cause des flaques sur la route et je suis transi.

En arrivant à Pang, je m’arrête dans le premier café que je vois. Une fois que je suis descendu de la moto, la tenancière vient vers moi et m’invite à entrer à l’intérieur. Il y a déjà un groupe de motards indiens qui s’apprête à repartir.

La tenancière a dû avoir pitié de moi car elle vient racler la neige qui couvre ma combinaison et mon appareil photo, que je porte en bandoulière, n’est plus qu’une boule de neige. Les motards indiens me disent qu’ils viennent de Leh et qu’ils ont aussi eu de la neige au col de Taglangla.  Une fois qu’ils ont levé le camp et fait de la place à l’intérieur de la « Dhaba » - un café hôtel comme celui dans lequel nous étions la veille – Giuseppe et moi entrons à l’intérieur. Sous la tôle ondulée, il y a une bâche et la condensation forme des gouttières un peu partout, sous lesquelles sont placés des récipients.

Il y a un petit fourneau à gaz et Giuseppe s’empresse de s’en accaparer un maximum de chaleur. Cette dhaba est en dur, c’est-à-dire en briques de terre cuites et crépie en pisé. Malgré la poutraison fort ténue, le mari de la tenancière est monté sur le toit pour évacuer la neige et son opération me fait davantage craindre l’effondrement de la toiture que le poids des flocons mouillés.

Nous avalons rapidement deux œufs et un bol de nouilles avant de repartir dans l’enfer des cols himalayens. A partir de Pang, la route est toutefois nettement meilleure et les trente premiers kilomètres sont pratiquement rectilignes et peu inclinés. Les dix derniers par contre sont plus pentus et la neige commence à crocher. Nous arrivons toutefois au sommet, à 5325 m selon les indications du GPS de Giuseppe – je ne me suis pas amusé à calculer l’équivalent des pieds en mètres qui sont indiqués sur les bornes, et de toute façon, les données ne sont pas fiables – et un touriste indien tient à faire un selfie avec moi avant que je ne descende de la moto.



Puis un autre touriste immortalise cette étape avant que nous tentions de redescendre sur l’autre versant. Tentions, car l’opération n’est pas si aisée. Sur quelques centaines de mètres, il y a près d’une dizaine de centimètre de neige et c’est le chaos. Un camion et un bus sont bloqués au milieu de la route et empêchent le passage des véhicules à quatre roues. Giuseppe passe devant, double par la droite sur une portion inclinée et… se vautre lamentablement.

Il a du mal de relever sa moto, mais comme je suis à bonne distance et qu’un homme l’aide déjà à relever sa monture, j’en profite pour immortaliser la scène avec mon appareil photo enneigé.

Bien mal m’en a pris car quelques secondes plus tard, c’est à mon tour de coucher la moto. Cette neige est extrêmement glissante et il n’y a rien à faire. Je relève péniblement la Royal Enfield et tente de marcher à côté, mais c’est encore pire. J’opte alors pour la chevaucher avec les deux pieds par terre, sans moteur, mais cela glisse quand même dans tous les sens. A ce moment précis, je suis heureux de ne pas avoir une moto plus lourde à gérer. Puis je redémarre finalement et, les pieds toujours à terre, je dépasse le bus immobilisé et parviens péniblement sur la route libre de neige une centaine de mètres plus loin.

Giuseppe, aidé par un homme qui lui assure le guidon, me rejoint quelques minutes plus tard. L’homme nous dit que plus bas, il n’y a plus de neige sur la route et que nous devrions arriver sans problèmes à Leh.

Pour la descente, il n’y a pas grand monde mais je suis complètement trempé, le visage toujours autant fouetté par le vent et les flocons qui s’écrasent comme des milliers de grains de sable sous pression.

A l’arrivée dans la vallée, il ne neige plus et la pluie s’est un peu atténuée. Le champ de vision commence à dépasser dix mètres et nous pouvons apercevoir les magnifiques contours des berges de la rivière. Les éboulements sont incessants dans une zone de vingt kilomètres et la route est parsemée et bordée de cailloux et de rochers d’une taille respectable. Mieux vaut ne pas s’en prendre un dans les roues ou sur le casque !

A Upsih, nous nous arrêtons au check-point et Giuseppe, non moins transi que moi malgré son équipement high-tech étanche, a besoin d’un thé.

Je le rejoins dans le café qui jouxte le poste de police. Je ne sais pas où déposer mon casque et me résous à le mettre à côté du sien, sur un tas de couvertures. Telle n’est pas ma surprise en entendant une voix provenant d’une vieille femme tirée de son sommeil, qui gisait sous le tas de couvertures !

Je m’empresse de déplacer les casques en m’excusant de n’avoir vu l’aïeule, avec le rire amusé du tenancier.

Nous avalons nos tchais avant de repartir. Giuseppe m’avait donné à Sarchu environ un litre d’essence issu de l’un des conteneurs de réserve, alors que lui avait rajouté cinq litres dans son réservoir. Je suis donc heureux d’arriver jusqu’à une station-service sans devoir sortir ma réserve.

Les trente derniers kilomètres jusqu’à Leh achèvent de me tremper jusqu’aux os et nous nous rendons au centre-ville. Il n’y a toujours pas de réseau GSM. Giuseppe ne peut pas réserver d’hôtel et je commence à en avoir sec de cette flotte et du froid. Nous décidons donc de nous arrêter dans le premier hôtel venu, et il est correct. Rien à voir avec la cahute de hier au milieu d’un village de tentes et de tôle ondulée. Et, comble du luxe, un vrai lit, des chiottes, une douche et du wi-fi, mais pas de bonnes couvertures chaudes. On ne peut pas tout avoir.

Le seul véritable problème, c’est qu’ils annoncent un temps encore pire pour les trois prochains jours et nous n’avons guère envie de nous taper le Kardung La, le col le plus haut du monde, avec trente centimètres de neige !

On verra donc demain ce qu’on va faire.

Commentaires

  1. Salut Christian,
    Je suis ravi que tu puisses à nouveau nous faire vivre tes aventures!
    J'espère que tout ira bien et vous souhaite bonne route!
    Meilleures salutations aussi à Giuseppe.
    Didier

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  2. Merci Didier. On va essayer de survivre à l'enfer himalayen.

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